What follows is a French translation of sections 2, 3, 4, and 5 (partially) of Joseph Wayne Smith’s “Rational Anthropology: A Review of Sheila Newman’s ‘Land-Tenure & The Revolution in Democracy & Birth Control in France’,” Against Professional Philosophy (4 June 2023), available online at URL = <https://againstprofphil.org/2023/06/04/rational-anthropology-a-review-of-sheila-newmans-land-tenure-the-revolution-in-democracy-birth-control-in-france/>.
Pourquoi la Revolution eut lieu en France, mais pas en Angleterre? Compte rendue de Sheila Newman, Land-Tenure & The Revolution in Democracy & Birth Control in France (Régime foncier et la révolution de la démocratie et du contrôle des naissances en France)
Land-Tenure & The Revolution in Democracy & Birth Control in France (Régime foncier et la révolution de la démocratie et du contrôle des naissances en France) est le troisième livre d’une série de quatre livres sur la démographie, le territoire et le droit, et à mon avis, ces œuvres apportent une contribution majeure non seulement à la recherche historique, mais à la philosophie au sens large d’une anthropologie rationnelle, un discours systématique sur la nature de la condition humaine (Hanna, 2021, 2022), dans le domaine quelque peu négligé de la démographie philosophique (Pavlik ed., 2000). Newman cherche à expliquer pourquoi une révolution s’est produite en France, mais pas en Angleterre, en utilisant une méthodologie multidisciplinaire. Comme elle le dit :
L’utilisation de plusieurs disciplines est inhabituelle parce que la plupart des ouvrages de recherche s’appuient sur une base plus étroite de théories acceptées dans une seule discipline et s’attendent à ce que le lecteur connaisse un peu le matériel. C’est une limitation de l’environnement académique et la raison pour laquelle ce livre a été écrit en dehors d’un établissement universitaire. (Newman, 2023: p. 245)
Comme nous le verrons, le projet de Newman s’oppose certainement au professionnalisme étroit et à la spécialisation d’une grande partie des sciences sociales universitaires, qui ont une pensée limitée sur les sujets à discuter. Elle étudie les origines de la Révolution française en utilisant les modèles démographiques, les régimes fonciers et successoraux, la recherche comparative, ainsi qu’un cadre de sociologie évolutive, pour montrer les causes des grandes différences sociales et politiques entre les sociétés britanniques et françaises, et pourquoi une «révolution démocratique (républicaine)» s’est produite en France, mais pas en Grande-Bretagne, en Irlande ou au Canada français.
Les travaux visent à établir la thèse selon laquelle la démocratie s’épanouit dans des systèmes qui préservent le pouvoir dans le contrôle local, et que le contrôle local est plus durable lorsque les populations ont de solides liens claniques et familiaux avec la localité et la terre. D’autre part, le capitalisme de marché réussit davantage dans les systèmes qui fragmentent le pouvoir local et les familles de leur localité.
La viscosité de la population (sa qualite sedentiste) est caractérisée par le fait de vivre à long terme sur le même territoire avec une dispersion limitée et d’être endogame, impliquant le mariage au sein de sa tribu, de son clan ou de sa communauté (Dawkins, 2016, 282; Newman, 2023, 22). Les populations visqueuses, grace à la consolidation des relations de parenté, augmentent la confiance et la capacité des individus au sein des groupes à s’organiser efficacement pour des actions politiques (Newman, 2023: p. 48), par contraste avec les populations dispersées et atomisées (Newman, 2023: p. 44).
Land-Tenure & The Revolution… vise à montrer que la viscosité de la population favorise l’autodétermination politique et la stabilité du nombre de personnes. En examinant les données historiques, Newman montre que les pratiques foncières et successorales en France ont renforcé la viscosité, contrairement à la Grande-Bretagne, qui a connu une atomisation sociale, produite par les enclos fonciers et son système d’héritage salique (Laslett, 1965).
La France de l’ancien régime, comparée à la Grande-Bretagne de l’époque, avait un régime foncier à base clanique qui pouvait transmettre plus facilement les valeurs intergénérationnelles que la société atomisée et individualisée de la Grande-Bretagne. Ce niveau plus élevé de confiance sociale a permis de semer et de cultiver les graines de la « révolution démocratique » sur plusieurs générations. En Grande-Bretagne, les classes supérieures étaient beaucoup plus visqueuses et endogames que les classes inférieures et pouvaient s’opposer à tout esprit révolutionnaire qui pouvait surgir d’en bas, de sorte que les tentatives de révolution en Grande-Bretagne et en Irlande échouèrent.
Régime foncier, systèmes d’héritage et contrôle des naissances
Guillaume le Conquérant imposa la loi salique à tous les niveaux de la société en Angleterre en 1066, établissant la primogéniture mâle, empêchant les femmes d’hériter de toute propriété foncière. La conquête normande établa ce système de primogéniture mâle, qui donna au fils ainé les droits à la succession des propriétés foncières familiales à l’exclusion des autres membres de la famille. Bien que les Normands (Vikings) venaient d’une région de la France, le système de primogéniture mâle en Normandie ne s’appliquait qu’aux nobles. Même cela fut éliminé par Napoléon, dont le Code civil exigea des droits d’héritage égaux pour tous les enfants. Ce n’était pas le cas en Angleterre normande, où la tradition viking soutenait que les terres acquises à la conquête devaient être défendues, et les femmes n’étaient pas jugées capables de le faire. Cela signifiait qu’à part le premier fils, le reste de la famille était déshérité et sans terre. À son tour, la propriété foncière était concentrée dans moins de mains, laissant les grandes masses de personnes sans terres et vulnérable à l’enclos des terrains communaux, et fournissant la base pour le capitalisme industriel, avec l’innovation technologique et les matières premières comme le fer et le charbon (Newman, 2023: p. 113).
Les classes inférieures anglaises étaient des serfs sous les Normands, et après la rupture du féodalisme et l’émergence du capitalisme industriel, ils devenaient des ouvriers sans terre, parcourant le pays à la recherche de travail, fournissant une main-d’œuvre bon marché aux industries du charbon et du fer. Ce mouvement de population a donné lieu à de plus grandes possibilités de fécondité, avec le mariage en dehors des anciens clans et villages, contrairement à la population visqueuse et endogame de la France, où tous les enfants avaient droit a une part égale du patrimoine parental. (Newman, 2023: p. 31) Ce fut un facteur majeur dans l’explosion démographique de la Grande-Bretagne au 19ème siècle.
Bien que la France de l’ancien régime eût une fécondité très élevée et une pauvreté sévère dans les classes inférieures, la population n’augmentait que lentement en raison des mariages tardifs et de la mortalité de bébé et d’enfants élevee. (Newman, 2023: p. 208). L’information sur la contraception et les moyens de la contraception étaient contrôlés par les élites dirigeantes, qui pratiquaient elles-mêmes la contraception. Cependant, après la Révolution française, la connaissance de la régulation des naissances et les moyens de la réaliser étaient disponibles pour les classes inférieures. Cette information provenait d’une plus grande démocratisation de la presse. Dans l’Ancien Régime de France, l’Église et la monarchie contrôlaient l’éducation, l’écriture et les publications, mais ce contrôle a pris fin avec la Révolution. Ainsi, les familles étaient plus petites et la mortalité infantile diminuait.
La diminution de la taille des familles françaises s’est produite au moins un siècle avant une telle diminution en Grande-Bretagne; la France a donc réduit sa population avant l’industrialisation, ce qui constitue un contre-exemple à la thèse de transition démographique. La thèse de la transition démographique est l’une des vaches sacrées de la démographie. Cette thèse soutient qu’avant le développement économique industrialisé, les sociétés étaient caractérisées par des familles nombreuses et une mortalité élevée, vivant dans la pauvreté. Le développement industriel avec une économie des «effets de retombée,» donnerait un niveau de vie plus élevé, un revenu par habitant plus élevé, une espérance de vie plus longue, et la taille des familles devraient diminuer. Newman soutient que la thèse de transition démographique est limitée dans l’applicabilité, avec le contre-exemple de la France révolutionnaire. Newman émet l’hypothèse qu’il existe une relation entre l’autodétermination/ démocratisation, la transition démographique et la régulation de la population.
Newman a fait valoir dans son livre précédent, The Urge to Disperse (Newman, 2011) et Demography, Territory and Law: The Rules of animal and human populations, (Newman, 2013), que, contrairement aux premiers travaux de Malthus, les populations humaines et animales s’adaptent généralement aux capacités portantes de leur environnement, en raison du fonctionnement de l’effet Westermarck, et l’évitement de l’inceste. L’effet Westermarck est similaire à l’évitement de l’inceste, mais il s’agit du manque plus général d’attraction sexuelle parmi les personnes vivant ensemble dans la première partie de leur vie. Ce n’est pas un processus conscient, mais Newman suppose qu’il est régulé par les hormones (Newman, 2023: p. 263). Des études montrent, examinées ailleurs par elle (Newman, 2013), que les hormones sont affectées par la présence de membres proches de la famille, comme la suppression de l’oestrus pour favoriser l’évitement de l’inceste. Cette thèse selon laquelle ces effets hormonaux réguleront la fertilité en fonction de l’espace disponible, a également été discutée par Newman dans des travaux antérieurs (Newman, 2013). Les populations plus visqueuses sont ainsi mieux en mesure de contrôler leur population, que les populations plus atomisées/individuées.
La Révolution française
La thèse de Newman est que la viscosité de la France prérévolutionnaire a permis à la Révolution de réussir, et elle décrit comment les nombreuses tentatives de révolutions en Grande-Bretagne ont échoué, y compris la révolte des paysans de 1381. Les détails des révoltes ont été effacés de la mémoire historique puisque l’administration royale tuait autant de révolutionnaires connus qu’elle le pouvait. Surtout après la Révolution française, le gouvernement britannique a placé des espions dans diverses sociétés qui auraient pu constituer une menace possible. Les manifestations sur les droits fonciers chartistes britanniques du 10 avril 1849 ont vu des centaines de milliers de manifestants rassemblés près du Parlement, mais «[l]es élites leur ont dit de rentrer chez elles, et elles l’ont fait» (Newman, 2023: p. 36).
En France, par contre, les révolutionnaires français étaient en grande partie des professionnels, des avocats, des médecins, des gens d’affaires, des colporteurs. Les colporteurs étaient importants dans la distribution des tracts révolutionnaires, et cela dérangeait tellement l’Ancien Régime que des lois ont été adoptées pour interdire cette distribution, sous peine d’exécution. Mais cela n’a pas arrêté les colporteurs. Et, aussi, les colporteurs ont distribué la littérature normalisant la contraception, avec la pornographie, et la satire de la monarchie.
Newman donne une discussion détaillée sur le rôle des sociétés secrètes dans la diffusion de l’esprit révolutionnaire, y compris le rôle controversé des francs-maçons. Les loges de franc-maçonnerie étaient populaires en France, avec les nobles et les bourgeois, et ces loges étaient infiltrées par les révolutionnaires. Contrairement à la littérature conspiratoire en langue anglaise, Newman suit les historiens français comme voyant la franc-maçonnerie être pénétrée par les révolutionnaires, plutôt que vice versa. La littérature conspiratoire anglaise soutient que les Illuminatis étaient l’influence dominante derrière les francs-maçons français. Newman montre de sources françaises qu’il y avait peu d’influence des Illuminati sur les francs-maçons français (Newman, 2023: p. 75).
Le travail en quatre volumes de Newman utilise l’analyse historique et politique comparative, en se servant de multiples disciplines, y compris la démographie, l’histoire, la théorie politique, l’analyse statistique, l’écologie et la génétique, ainsi que l’analyse littéraire. Des éléments détaillés sont tirés de sources anglaises et françaises, une grande partie des sources françaises n’ayant pas été traduites et n’ayant pas fait l’objet d’un examen préalable en anglais. En tant qu’ouvrage bilingue, de nombreuses sources historiques françaises sont traduites en anglais pour la première fois dans une publication. Land-Tenure & The Revolution … est donc un ouvrage immensément savant, avec 810 notes de bas de page longues, couvrant 98 pages.
Le livre de Newman est donc une contribution majeure aux domaines qu’il couvre, et pas seulement pour ses idées sur les causes sociales et écologiques de la Révolution française et sur la régulation de la population. La recherche, effectuée en dehors de l’université, évite la spécialisation étroite et le départementalisme qui caractérisent aujourd’hui la plupart des travaux universitaires. Sans l’épée de Damoclès de la publication ou de la disparition, qui pèse sur la tête des universitaires traditionnels, un travail vraiment original a pu fleurir.
REFERENCES
(Dawkins, 2016). Dawkins, R. The Selfish Gene. Oxford: Oxford Univ. Press.
(Gibbon, 1814). Gibbon, E. Miscellaneous Works. 5 vols., London: John Murray.
(Laslett, 1965). Laslett, P. The World We Have Lost. London: Methuen.
(Newman, 2011). Newman, S. The Urge to Disperse. Victoria AU: Candobetter Press.
(Newman, 2013). Newman, S. Demography, Territory and Law: Rules of Animal and Human Populations. Victoria AU: Countershock Press.
(Newman, 2023). Newman, S. Land-Tenure & The Revolution in Democracy & Birth Control in France. Demography, Territory & Law 3. Victoria AU: Countershock Press.
(Pavlik, 2000). Pavlik, Z. (ed.) Position of Demography Among Other Disciplines. Prague: Department of Demography and Geodemography at Charles University.
Against Professional Philosophy is a sub-project of the online mega-project Philosophy Without Borders, which is home-based on Patreon here.
Please consider becoming a patron!